Palestine - 
Entretien réalisé par Pierre Barbancey -Mardi 22 Mai 2018 -L'Humanité
Celle
 qui fut longtemps ambassadrice de Palestine en France puis auprès de 
l’Union européenne, met en perspective les manifestations de Gaza, les 
crimes de guerre israéliens et l’attitude des gouvernements dans le 
monde.
Que
 cherche Israël en commettant un tel massacre, en perpétrant ce qui 
semble être des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité ?
Leila Shahid : Israël poursuit sa politique 
habituelle, de tout-militaire, de répression, d’écrasement effroyable 
par la disproportion des méthodes employées face à une population civile
 désarmée mais qui a choisi de revenir à une forme de lutte pacifique, 
non violente, de résistance à l’occupation qui dure depuis 51 ans. Nous 
en sommes à la quatrième guerre contre Gaza depuis dix ans. Celle-là est
 peut-être la pire de toutes parce qu’on assiste au retour à une 
Intifada pacifiste qui est menée uniquement par les jeunes de Gaza, 
absolument pas par le Hamas, ni d’ailleurs par le Fatah. C’est une 
nouvelle génération de jeunes Gaziotes, qui vivent maintenant depuis 
onze ans totalement assiégés. Ils sont enfermés par l’armée israélienne,
 qui prétend avoir quitté Gaza. Mais, selon le droit, tant que l’armée 
est présente à tous les accès terrestres, aériens et maritimes, c’est un
 territoire occupé. Gaza est aussi assiégée par les Égyptiens, qui ont 
fermé le seul accès que la population avait vers l’extérieur. Mais elle 
est également assiégée par la guerre de pouvoir entre le Hamas et 
l’Autorité palestinienne. Le Hamas lui infligeant un régime qui n’arrive
 pas réellement à avoir des relations internationales et qui ne reçoit 
aucune aide ; l’Autorité palestinienne refusant de payer les salaires et
 les factures d’électricité, pensant faire pression sur le Hamas.
Donc, cette population est totalement abandonnée à 
elle-même. Et le monde, à commencer par le monde arabe, regarde 
ailleurs, regarde l’Iran, qui est devenu, grâce à Trump, l’ennemi à 
abattre. Netanyahou se trouve être le meilleur allié de Trump. Il 
applaudit la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale
 d’Israël et de déménager l’ambassade. Les Israéliens pensent pouvoir 
faire tout ce qu’ils veulent et être impunis.
Israël cherche-t-il à mater totalement le nouveau mouvement palestinien ou à créer la zizanie ?
Leila Shahid : Israël n’a pas changé de politique 
depuis 70 ans. Ce qui veut dire que tout ça se passe au moment de la 
commémoration de la Nakba, la catastrophe, qui est la dépossession des 
Palestiniens de leur patrie, de leur sol, de leur identité, de leur 
culture, de leur histoire, de leur mémoire. Cette politique n’a pas 
changé même s’il y a eu différents moments entre les travaillistes et le
 Likoud et, aujourd’hui, ce que j’appellerai le post-Likoud. 
C’est-à-dire un pays qui prend le chemin du racisme et du fascisme. 
Parce que la composition actuelle de la Knesset et du gouvernement est 
beaucoup plus grave que le Likoud. C’est un amalgame de partis racistes.
 Netanyahou continue l’annihilation de toute revendication de la 
population palestinienne comme nation. Netanyahou ne veut pas d’État 
palestinien, ne veut pas reconnaître une nation palestinienne. Il est 
soutenu dans ce domaine par le nouveau président américain. Il a le 
sentiment de pouvoir faire ce qu’il veut et, donc, il « finit le 
boulot » de nettoyage ethnique commencé il y a 70 ans. Comme il ne peut 
pas jeter les Palestiniens à la mer comme en 1948, à cause des 
téléphones portables, des journalistes, des réseaux sociaux, il nous 
écrase avec une violence militaire choquante. D’ailleurs, même les 
responsables militaires israéliens disent maintenant qu’ils ont perdu la
 bataille de l’image. Ils sont en train de commettre des crimes de 
guerre pour lesquels ils devront rendre des comptes devant la Cour 
pénale internationale (CPI) et toutes les instances internationales si 
la conscience du monde se réveille.
Est-ce que la réaction internationale est à la hauteur de ce qui est en train de se passer ?
Leïla Shahid : Je pense que ce qui s’est passé le 14 
mai et la mort de 62 Palestiniens en 24 heures ont provoqué un 
changement fondamental dans les opinions publiques mondiales, y compris 
en Israël. Parce qu’il y a un nouveau contexte mondial. Cela fait 
maintenant plus de trois ans qu’on nous dit que la question 
palestinienne n’est plus prioritaire, qu’on s’occupe de l’Iran et du 
terrorisme. Trump et Netanyahou avaient réussi à assimiler les 
Palestiniens à tout ce mouvement de terrorisme international. C’est pour
 cela qu’ils tiennent absolument à dire que les marches à Gaza sont 
organisées par le Hamas, ce dernier étant un mouvement se revendiquant 
de l’islamisme. Ils mettent tout dans le même sac. Mais les moyens de 
communication existants permettent aux gens de se faire leur propre 
opinion. Ils ont vu en live l’assassinat de 62 personnes, les tirs à 
balles réelles sur des journalistes, des secouristes, des familles, qui 
ont blessé en un jour 2 700 personnes. Depuis le 30 mars, il y a 12 000 
blessés, dont certains seront handicapés à vie à cause de l’utilisation 
de balles explosives. Or les jeunes à Gaza n’ont pas eu recours aux 
armes alors qu’ils le pouvaient. Les jeunes ont décidé de ne pas le 
faire parce qu’ils ont une nouvelle stratégie, parce que les roquettes 
stupides du Hamas sur Sdérot donnaient des justifications aux Israéliens
 pour bombarder Gaza. Il y a des moments dans l’histoire où s’expriment 
le courage des peuples, leur détermination à se sacrifier (parce qu’ils 
n’ont rien d’autre à part la force de leurs convictions). Ce peuple a 
voulu forger son propre destin avant même la création de l’État 
d’Israël, en luttant contre la colonisation britannique.
Mais il faut aussi voir, au moment où Trump et Netanyahou,
 frères jumeaux racistes et populistes, cherchent la guerre, que, pour 
la première fois en 70 ans, vous avez des pays arabes avec les 
Américains et avec les Israéliens, contre les Palestiniens. À commencer 
par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui considèrent 
aujourd’hui que leur premier ennemi, c’est l’Iran et donc que leurs 
premiers alliés sont Trump et Netanyahou. Comme l’a dit le prince 
héritier saoudien, Mohammed ben Salmane lors d’une réunion avec un 
groupe sioniste aux États-Unis lors de son voyage officiel il y a un 
mois, les Palestiniens « devraient se taire » (« shut their mouth ») ou 
accepter la grande proposition de Trump. Or il n’y a pas de proposition 
mais une décision unilatérale d’imposer aux Palestiniens, avec l’aide de
 certains pays arabes, des bantoustans séparés par cette nouvelle 
Jérusalem métropolitaine qui va être dix fois plus grande que celle 
d’aujourd’hui. Toutes les colonies aux alentours seront annexées à 
Jérusalem. Et comme c’est la « capitale » reconnue par Washington, le 
gouvernement israélien va essayer de toutes les manières (économique, 
sociale, physique) d’expulser les Palestiniens et d’intégrer les 250 000
 colons qui sont à Jérusalem-Est pour poursuivre ce qu’il appelle sa 
« guerre démographique ». Jérusalem va atteindre, à l’est, Jericho, au 
nord, Ramallah, et, au sud, Bethléem. Ce n’est pas un incident. C’est un
 moment clé. Ceux qui l’ont compris sont ces magnifiques jeunes de Gaza,
 dont le plus vieux a 30 ans, qui n’ont rien demandé à personne. Ni au 
Hamas, ni au Fatah, ni aux Arabes, ni aux Américains, ni aux Européens. 
Ils ont secoué la conscience du monde en se sacrifiant parce que c’est 
leur seule arme.
Faut-il encore compter sur les États-Unis pour une paix juste et durable ?
Leïla Shahid : Je n’ai jamais pensé que les 
Américains étaient des parrains objectifs. Ils ont hérité des 
Britanniques. Pendant la guerre froide, ils étaient opposés aux droits 
des Palestiniens et aux pays arabes. Après la chute du mur de Berlin, il
 y a eu une petite fiction à la conférence de Madrid, qui s’est très 
vite effondrée. Tout a toujours été pensé pour les intérêts financiers, 
économiques, pétroliers, militaires américains. Yasser Arafat savait 
tout ça et n’avait pas d’illusions. Mais il avait dit, lors d’un Conseil
 national palestinien (CNP), que, lorsqu’il y a un match de foot, soit 
on est un joueur dans une des équipes et on peut marquer un but, soit on
 reste dans les tribunes et on ne marque jamais et ça ne sert à rien. Il
 a donc accepté Oslo et il est revenu en Palestine. Ce qui est 
maintenant irréversible. Car il faut se rappeler que l’Organisation de 
libération de la Palestine (OLP) a un talon d’Achille. Elle a commencé 
dans les camps de réfugiés, dans l’exil. Pas dans les territoires 
occupés comme au Vietnam, en Algérie ou en Afrique du Sud. C’est 
pourquoi Arafat restera comme un très grand dirigeant : c’est le premier
 qui ramène les Palestiniens chez eux en leur enjoignant de continuer. 
Il a même dit qu’il ne verrait pas la Palestine mais qu’il se faisait un
 devoir de passer de la phase de l’exil à celle de la lutte à partir de 
la Palestine. Oslo est terminé. Cela devrait être la preuve de la 
mauvaise foi des huit gouvernements israéliens successifs, qui 
cherchaient seulement à gagner du temps et à prendre des territoires 
avec la colonisation. La Nakba ne s’est jamais arrêtée pour nous. Tous 
les jours, ils prennent plus de territoire, tous les jours, ils mettent 
des gens en prison, tous les jours, ils répriment ceux qui manifestent 
pour leur droit à exister en tant que peuple. Mais cette Nakba se fait 
sur le sol de la Palestine. C’est à Gaza que la révolution palestinienne
 a commencé. De Gaza elle est partie en Jordanie puis au Liban et, de 
Tunisie, Arafat l’a ramenée en Palestine. Aujourd’hui, les jeunes 
reprennent ce rôle d’avant-garde de la révolution palestinienne. Est-ce 
que cela va réveiller les consciences de ceux qui ont les moyens de 
traduire en justice l’armée israélienne pour crimes de guerre ? La 
réponse est chez vous, dans les opinions publiques européennes, parmi 
les parlementaires, les élus européens. C’est une occasion pour que 
l’Europe se réveille de sa léthargie.
Il y a, dans ce contexte, une articulation fascinante. Du 
local, Gaza, au national, la Palestine, au régional, qui est le 
Moyen-Orient, au mondial, qui est l’affrontement des sociétés civiles 
face aux décisions de leurs gouvernants. Avec une alliance, que les 
lecteurs de l’Humanité comprennent très bien, entre la nouvelle 
administration américaine, représentant un danger mondial, et le 
dirigeant d’Israël, son meilleur allié. Notre réponse est ce que font 
les jeunes à Gaza.
Faut-il sanctionner et boycotter Israël ?
Leïla Shahid : Pourquoi la Russie est-elle 
sanctionnée lorsqu’elle annexe la Crimée mais pas Israël qui annexe 
Jérusalem ? Pourquoi les boycottages contre Cuba, la Libye, le Congo, 
contre l’apartheid et pas contre Israël ? Le mouvement 
Boycott-désinvestissement-sanctions (BDS) ne doit pas être simplement le
 fait de citoyens courageux dans le monde, il doit être appliqué aussi 
par les États. C’est une arme non violente. Nous ne demandons pas que 
vous bombardiez Israël. Nous exigeons que vous appliquiez ce que le 
droit impose : des sanctions économiques, politiques, diplomatiques et 
le boycott de tout ce qui a à voir de près ou de loin avec cette 
politique d’occupation et ces crimes de guerre. Que les Parlements des 
28 États de l’Union européenne votent des résolutions pour le boycott 
comme forme de pression non violente sur Israël. En premier lieu, il 
faut la suppression de la saison France-Israël, qui n’est là que pour 
redorer le blason de la force occupante. N’est-ce pas une honte qu’on 
fasse la propagande d’un pays l’année des 70 ans de la Nakba, de la 
dépossession des Palestiniens ? Voyez comment l’histoire est faite : les
 jeunes de Gaza se sont invités à la table sans qu’on les y ait conviés.
 Et c’est ça qui compte. Les autorités en France peuvent faire autant de
 manifestations qu’elles veulent, cela n’occultera pas la politique 
d’occupation criminelle qu’Israël pratique à l’égard du peuple 
palestinien depuis 51 ans et celle de la dépossession de la Palestine 
depuis 70 ans.



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