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« Le plan voulu par les américains est tout sauf un plan de paix »


ENTRETIEN AVEC ELIAS SAMBAR, ambassadeur de Palestine auprès de l'UNESCO.

Jeudi, 27 Juin, 2019 - L'Humanité Dimanche


L’écrivain et diplomate Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco, réagit au plan de paix proposé par les États-Unis pour régler le conflit israélo-palestinien. Il estime que cette initiative va se heurter à la résistance des Palestiniens, déterminés à ne pas brader leur cause.

Les 25 et 26 juin à Manama, capitale de Bahreïn, les États-Unis présentaient un supposé plan de paix au Proche-Orient. Y participeraient les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Maroc et l’Égypte. À l’heure où nous mettions sous presse, le flou demeurait quant à la présence éventuelle d’Israël. Cette dernière sera « représentée à l’atelier économique de Bahreïn d’une manière qui sera décidée ultérieurement », a vaguement signalé, le 16 juin, dans un tweet, le ministre des Affaires étrangères, Israël Katz. L’idée de cette conférence est de vendre aux Palestiniens un développement économique en cas d’accord de paix avec Israël. Un plan à l’avantage de cette dernière et qui laissera aux Palestiniens un territoire en pointillé. Netanyahou ne cachant pas sa volonté d’annexer définitivement la Cisjordanie. Pour Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco, cette initiative est déjà un échec.

Que vous inspire l’initiative américaine dénommée « plan de paix au Proche-Orient », dont une première conférence est prévue les 25 et 26 juin à Bahreïn ?

Notons d’emblée une erreur dans l’appellation. Il n’y a pas de plan de paix et il n’y en aura pas. Il s’agit tout simplement d’un leurre pour faire passer autre chose. Les Américains viennent d’ailleurs d’annoncer aujourd’hui un probable report pour novembre. Dernièrement, le principal émissaire du président des États-Unis affirmait la possibilité de voir l’initiative échouer. Le plan réel est en fait d’ordre financier. Il vise à créer une paix financière entre Israël et des pays arabes riches. Toute l’idée est de normaliser ces échanges et d’abandonner les Palestiniens face à une succession de faits accomplis : l’annonce au sujet de Jérusalem ; la coupure de tous les budgets pour les réfugiés palestiniens – les Américains évacuent la question du retour et de l’exil ; la possibilité pour Israël d’annexer tout ou une partie de la Cisjordanie.

Il faut le dire haut et fort : il n’est pas question de plan de paix ! On s’empresse d’ailleurs de déclarer que les Palestiniens sont responsables et, à la limite, antisémites, car ils ne veulent pas vivre avec les colons juifs. Sans compter que le principe des deux États est ainsi liquidé.

Quels sont les moyens de riposte des Palestiniens ?

Il y a une leçon que personne ne veut tirer. Il faut pour cela remonter dans le temps. Les premiers affrontements entre des paysans palestiniens et des ouvriers des fermes de M. Rothschild ont lieu à la fin du XIX e siècle, en 1896. Theodor Herzl n’avait pas encore publié son ouvrage « l’État des juifs », la déclaration Balfour n’était pas encore énoncée, puisqu’elle date de 1917. De 1996 à 2019, il n’y a eu qu’une seule unanimité : sortir le peuple palestinien de la scène. Toutes les autres étapes – crises, guerre – n’avaient que cette seule visée : que les Palestiniens disparaissent.

Cent vingt ans plus tard, ce petit peuple, ce pays pas très riche, n’a pas bougé. Personne n’arrive à le faire sortir de scène. La dernière illustration de ce que je vous dis, c’est le fabuleux fiasco de cette réunion des 24 et 25 juin. Elle a été annoncée en fanfare. Elle se termine en queue de poisson. Il s’agit soi-disant d’expliquer aux Palestiniens l’intérêt qu’ils auraient à accepter les propositions américaines, à consentir en fait à une braderie.

Les autorités palestiniennes sont fermes. Mais comment peuvent-elles faire échouer cette initiative ?

Elle a déjà échoué. Elle se termine en queue de poisson avec quelques États arabes qui consentent à y déléguer des gens de troisième ordre chargés de prendre des notes. Pour l’instant, Israël n’est même pas officiellement invité. Et les Américains commencent à envisager un report. Cette conférence est déjà un échec.

Le fait notable reste l’entrée en scène des pays arabes dans ce type de processus. C’est un signe inquiétant pour la cause palestinienne  ?

C’est effectivement inquiétant, mais cela ne date pas d’aujourd’hui, c’est seulement un peu plus visible. Vous imaginez bien que ça n’a pas commencé il y a deux mois, cette histoire de normalisation entre Israël et un certain nombre de pays arabes. Remarquez que, parmi ces pays qui disent « on y va », pas un ne pourrait se prononcer publiquement en faveur de Jérusalem capitale d’Israël, y compris ceux qui sont les plus mouillés. Aucun d’eux ne pourrait ouvertement admettre que les Palestiniens sortent de scène, même si certains travaillent dans ce sens. Cela donne une idée des rapports de forces réels.

Cette réunion supposée extraordinaire perd de son importance, parce que les Palestiniens n’y participent pas. Parce qu’ils ne sont pas disposés à brader leur cause, tout simplement. Ils ont bien fait de tenir tête. La fermeté dans les principes est toujours payante. Vous gagnez même si vous êtes faibles, encerclés ou boycottés. Les Palestiniens ont fait capoter ce projet présenté comme grandiose. Les pays arabes disent aux Américains : on ne veut pas être en tête-à-tête avec Israël si les Palestiniens ne sont pas là. C’est ce qui explique l’incertitude quant à la présence de l’État hébreu. Personne ne peut nous remplacer, malgré notre faiblesse, malgré les mesures de blocus financiers… Les Arabes et les Israéliens le savent. Les Américains commencent à l’apprendre.

Tous ces processus ne jettent-ils pas un voile sur les crimes d’Israël ?

Je ne crois pas du tout qu’il y ait un voile. La terre entière connaît ces crimes. Ce n’est pas la presse qui fait les causes. Évoquer ces faits aide à faire connaître, il y a une fonction pédagogique et parfois de dénonciation, mais au bout du compte le seul mot qu’il faut avoir en tête quant à ce que vous dites, sur les crimes, les violations de droits, c’est l’impunité. Celle-ci est imposée par un très grand protecteur : les États-Unis. Et cela fonctionne à cause de la lâcheté des autres interlocuteurs.

Vous pensez à l’Europe ?

Oui, mais pas seulement. Il y a, notamment les pays arabes, et, quasiment, la planète entière. Les Américains imposent l’impunité et le reste du monde se tait, à quelques exceptions.

Comment la cause palestinienne peut-elle encore être défendue dans un tel contexte ?

Nous sommes un très petit peuple, mais nous tenons le coup et nous allons encore tenir. Personne ne nous fera sortir de scène.

Vous posez le problème en termes de résistance…

Tout à fait ! Nos droits ne sont pas à vendre, cela fait un siècle que ce conflit ne se résout pas, personne ne veut comprendre qu’il y a une solution : nous voulons nos droits. Tant que nous ne les aurons pas, nous serons là. Ça nous coûte très cher, mais nous ne céderons pas.

Entretien réalisé par Nadjib Touaibia

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